Des larmes, de simples larmes, mais des gouttelettes si rares sur le visage souillé du bûcheron. C'était sûrement la première fois en une quinzaine d'années que le jeune Micah pleurait. Et pourtant, c'était des larmes d'une pure sincérité. Il était barricadé, ou tout du moins caché, dans une petite pièce sombre à l'écart de son appartement. Il venait de voir la pire chose qu'il aurait pu imaginer, sa fille était littéralement entrain de dévorer sa femme. Micah n'avait pas cherché à comprendre ce qui allait arriver par la suite, allait-elle mourir ou devenir à son tour une de ces créatures sinistres ? Quoiqu'il en soit, il n'avait pas eu le courage de tuer sa femme, et encore moins sa fille. Il ne pouvait pas leur faire du mal et, bien qu'elles n'étaient plus elles-mêmes, il voyait toujours des Lane dans leurs yeux. Il était désormais accroupi dans la petite pièce, sûrement un local, dont il avait bloqué l'accès avec de vulgaires balais en tout genre.  Les yeux clos, il sentit son esprit vagabonder, bien qu'il gardait une oreille attentive.

« Puis-je vous offrir un verre, Miss ? » Ô oui, c'était sûrement la technique de drague la plus ringarde du siècle, mais Micah était si subjugué par les yeux bleus clairs de la jeune femme qui se trouvait face à lui, qu'il en avait perdu tous ses moyens. Et, par on ne savait quel malheur, celle-ci avait refusé, non sans s'être doucement moqué au préalable. C'était donc une moue présente sur son visage qui accompagna le jeune homme qui ressortit du bar sans un mot. Il n'en était pas à son premier refus, mais c'était sûrement le plus douloureux aux yeux du bûcheron. Il passa ainsi des jours et des jours à revenir dans ce bar, espérant apercevoir à nouveau ces deux yeux si clairs qu'ils le hantaient dès qu'il dormait. Et le miracle fut. Ainsi, une semaine plus tard, la revoici dans ce bar, assise à la même table que précédemment. Cette fois, sans une once de politesse, Micah avait expressément demandé au barman de préparer un cocktail spécial, qu'il offrirait par la suite à la résistante. Et il le fit. Cette fois-ci, ce fut un sourire qui accompagna un remerciement, bientôt suivi d'une invitation à se joindre à elle. Micah Jay Lane venait de rencontrer Katheleen Swan, future Madame Lane.

Des bruits, des halètements se firent rapidement entendre, extirpant Micah de son souvenir. D'une main il essuya son visage toujours aussi crasseux. Un coup de feu lui fit faire un bond. Un seul coup de feu. Il préférait ne pas penser au gagnant de cette bataille sanguine, sachant qu'il finirait par sortir s'il se posait trop de questions. Il se reposa alors, presque confortablement si l'on puis dire, contre le mur de cette minuscule pièce dans laquelle ils n'auraient jamais pu être deux. Le silence, ou ce qui s'en rapprochait le plus, reprit rapidement sa place dans l'immeuble où il vivait jusqu'alors. Quelques grognements, des claquements de dents peut-être, mais rien de plus. Il en décréta que le coup de feu avait fait une victime humaine de plus. Peut-être cette personne avait préféré se suicider plutôt que de vivre plus longtemps ainsi. C'était étrange, sachant que l'on ignorait encore combien de temps cette « épidémie » resterait. D'un autre côté, il fallait avouer que Micah Jay y avait également pensé, lorsqu'il avait vu sa fille se jeter sur sa femme.

« Un jour, Edmond Rostand , a fait dire à l'un de ses personnages emblématique une chose réelle, une chose que je ressens. Ainsi, mon amour, me voilà devant toi à te citer Cyrano de Bergerac. Tous ceux, tous ceux, tous ceux qui me viendront, je vais vous les jeter, en touffe, sans les mettre en bouquets: je vous aime, j’étouffe, je t’aime, je suis fou, je n’en peux plus, c’est trop; Ton nom est dans mon coeur comme dans un grelot, et comme tout le temps, Roxane, je frissonne, tout le temps, le grelot s’agite, et le nom sonne ! De toi, je me souviens de tout, j’ai tout aimé.  Certes, je ne suis pas le plus grand des poètes, me voilà entrain d'emprunter une tirade à un dramaturge Français, mais je tenais à mettre ces mots sur ce que je ressens pour toi. Tu es ma Roxanne, tu es celle dont je me souviens de tout. Je me souviens de ce jour où tu as refusé ce verre que j'ai voulu t'offrir, de ce jour où tu as enfin accepté ce même verre. Je me souviens de ce mois de Janvier où, sortant de chez le coiffeur, tu as vu avec horreur la neige dévaler les cieux. Je me souviens de cette expression de surprise lorsque je t'ai proposé de vivre avec moi, je me souviens de cette timidité dont tu t'es éprise lors de la rencontre avec mes parents. Je me souviens de chacun de tes rires et du moindre de tes sourires. Je me souviens de tous les gestes doux que tu as eu à mon égard. Je t'aime, et je t'aimerais toujours. Alors, en ce 30 janvier, alors que la neige tombe sur nous dans cette rue déserte, sur ce trottoir tout de blanc vêtu, je me met à genoux devant toi et je te le demande enfin. Katheleen Swan, je t'en prie, je t'en supplie, veux-tu devenir ma femme et partager chacune de nos journées, quelles soient ou non heureuses, à mes côtés ? Si tu acceptes, si tu acceptes je ferais de toi mon tout, je ferais de toi ma princesse, je te bâtirais une cabane, une maison, peu m'importe. Je te ferais tous les enfants dont tu rêves, et tu mèneras ta vie tant souhaitée. Alors, acceptes-tu ma demande ? »

Un cri, un hurlement terrible et si fort extirpa à nouveau le jeune homme de ses fabuleuses et tristes pensées. Cette fois-ci, il n'y avait aucun doute. Quelqu'un était encore en vie et, à première vue, tentait de survivre en se battant contre ces créatures sombres et sanguines. C'est alors en un rien de temps qu'il se releva et dégagea les nombreux balais qui servaient à clore la porte. Ouvrant celle-ci, il se dirigea vers la provenance des coups de feu, inquiet de ne plus en entendre. Il ne cru pas si bien dire, en effet, aussitôt un deuxième coup de feu se fit entendre et, à nouveau, le néant. Micah se précipita, il savait qu'il n'était plus très loin de la femme qui, il y a encore quelques instants, hurlait. Il arriva enfin à une porte grande ouverte, dont il pénétra l'encadrement. Au sol se trouvait une femme entourée de trois, non de quatre de ces zombies. Aussitôt, presque sans peur, il se précipita sur ceux-ci, accaparant l'arme de l'hôte puis tira sur trois d'entre eux. C'est avec effrois qu'il vit le dernier zombie. C'est avec horreur qu'il vit ce regard, et c'est avec une grande peine qu'il posa à nouveau son doigt sur la gâchette.

Bien évidemment, Kath avait fini par accepter la proposition de celui qui était, depuis trois ans maintenant, son époux. D'ailleurs, à cet instant précis, ils étaient tout deux à l'hôpital, main dans la main. Katheleen Lane était allongée sur un lit, le ventre énorme. Cela faisait huit mois qu'elle portait cet enfant en elle et les infirmières semblaient dire qu'il n'y resterait sûrement pas un jour de plus. Le col dilaté, la poche des eaux percées, le travail avait commencé. La main de Micah était broyée dans celle de son épouse qui hurlait au fur et à mesure qu'elle poussait. C'était à la fois le plus effroyable et le plus beau jour de la vie du jeune homme qui avait en horreur ce visage foudroyé que tirait sa femme. Mais, bien heureusement, le calvaire ne dura qu'une dizaine de minutes, dix minutes après lesquelles il la vit enfin. Sa fille se tenait là, près de lui. Et alors, un sourire immense s'était logé sur le visage dégoulinant de sueur du jeune papa. « Emma » avait-il tout simplement prononcé. Cela faisait seulement quelques semaines qu'ils s'étaient mit d'accord pour appeler leur fille ainsi. Emma Kate Lane venait de naître, pour le plus grand bonheur de ses parents.

Le regard figé sur celui de sa fille, qu'il peina à reconnaître, c'est avec les yeux désormais clos que le bûcheron appuya sur la gâchette. Il ne vérifia jamais si Emma était morte, il ne regarda plus jamais son visage. Il s'était seulement accroupi aux côtés de la jeune femme qui était inconsciente. Sa jambe était ouverte et commençait à baigner dans une mince flaque de sang. Elle n'allait pas survivre très longtemps s'il ne l'aidait pas, mais il devait tout d'abord s'assurer qu'elle n'était pas également infectée. Il n'avait plus le courage de tuer qui que ce soit, zombie ou non, en cette journée de deuil. Il retourna alors, bien que soigneusement, la jeune inconnue afin de s'assurer qu'elle n'avait aucune morsure. Suite à quoi, il fit un garrot au niveau de sa cuisse. Ô, il aurait voulu qu'elle soit infecté, qu'il n'ait pas à sauver celle qui était, par hasard, à l'origine de la mort de sa petite fille de 12 ans. Mais il n'était pas cruel au point de la laisser ici, pour morte sur son propre sol. Alors préférant ne pas transporter la blessée, il s'était occupé d'elle comme il le pouvait, amassant les vivres qui étaient chez lui, avant de condamner les portes et les fenêtres de l'appartement dans lequel il logeait désormais. Il passe des jours ainsi, à faire des pansements de fortune pour guérir la jeune inconsciente. Et enfin, elle s'était réveillée. Ils passèrent peu de temps dans l'appartement, parlèrent tout aussi peu. Mais lorsqu'elle eut la capacité de marcher, ils avancèrent tant bien que mal dans les rues recouvertes de cadavres. Il leur fallut quelques temps avant d'arriver à la  presqu'île Island Dr. . Et c'était depuis quatre longs mois que Micah commençait à refaire sa vie, sur cette presqu'île, aidant tant bien que mal à la survie de tous.

Il avait rencontré sa femme à 17 ans, s'était installé avec elle à 19 ans, l'avait épousé à 22 ans. A 25 ans il était devenu père d'une fillette qui aurait dû fêter ses 13 ans aujourd'hui. Et à 37 ans, il avait tué cette même fille, il avait tué la chair de sa chair, il avait appuyé sur cette gâchette qui avait mit fin à la vie de la jeune fille. Et malgré tout, il le regrettait, il aurait préféré se tuer lui-même plutôt que de vivre à nouveau cette scène qui le hantait chaque fois qu'il fermait ses yeux.