Mes pas précipités se faisaient entendre, résonant contre les murs alors que je ne cessais de regarder derrière moi, blessée, n’ayant avec moi qu’une simple lame, seule l’adrénaline me permettait réellement d’avancer. Je n’avais plus de force et je sentais la défaite pointer le bout de son nez, perdant tout espoir alors que je jetais de nouveau un coup d’œil derrière moi pour voir la meute de zombie se traîner à ma suite. Leur faim les enhardissant d’autant plus, les faisant accélérer, ce même si leur chair tombait à leur suite, bientôt de la chair fraîche les rassasierait…
« Dépêche-toi Er’ ! Tourne ! Là ! »Il me criait dessus, ses yeux rivés sur la carte, m’indiquant le chemin à suivre essayant de me faire puiser dans mes dernières forces pour y grappiller un peu plus de vitesse, j’écoutais, sans broncher même si mes yeux ne cessaient de s’écarquiller, mon pouls s’accélérait et mon souffle s’emportait.
« Je ne vais pas y arriver, je ne vais pas y arriver… » A quelques mètres devant moi, juste après le virage qu’il m’avait indiqué, une sorte de bunker dans ce labyrinthe, enfin de quoi mettre un mur entre eux et moi, me poser et surtout retrouver des forces avant de devoir de nouveau courir. J’inspirais profondément en ne fixant plus que la porte, me donnant l’impression d’aller plus vite, je n’expirais pas avant d’avoir posé une main sur la poignée, un sourire victorieux illuminant mon visage. Du moins un court instant… Ils se jetèrent sur moi, battant ma lame dans les airs en espérant les atteindre, me débattant encore et encore jusqu’à ce que les dents pourries de l’un d’eux viennent chatouiller ma gorge.
> GAME OVER. PRESS START TO TRY AGAIN. <
J’hurlais mon désespoir alors que je lâchais la manette, dégoûtée de ne pas avoir réussi mon niveau alors que Tobias se marrait, se moquant ouvertement de ma défaite pour la énième fois.
« T’es vraiment nulle à ce jeu, heureusement pour toi y’a pas d’invasion de prévu de sitôt ! » Si seulement on avait su... Mais on ne se doutait de rien, rien du tout, qui aurait pu s'en douter ? Je le frappais, me plaignant de sa fausse amitié, cherchant vainement à ce qu’il s’excuse, le laissant jouer à son tour tout en faisant de mon mieux pour qu’il rate tout aussi bien que moi, grignotant une pizza à moitié froide dans mon appartement, vieux rituel d’amis d’enfance. Ce jour-là est le dernier où nous avons ri tous les deux, continuant de dézinguer des zombies au travers de l’écran, préparant notre week-end suivant, celui au cours duquel on doit se retrouver pour aller au Comic-Con d’Atlanta. Le chanceux par le soir-même pour cette superbe ville, se vantant de son jour de congé que je n’ai pas pu poser par sa faute. Puis l’on se quitte sur une bise et d’autres moqueries, persuadés qu’on se retrouvera, comme prévu le lendemain soir. Mais cela fait plusieurs mois que je le cherche encore…
- 23 ans, 5 mois et 2 jours avant l’épidémie, à Bath.
« Erika ! Arrête de courir partout et viens dire bonjour ! » Hurle Maman à mon attention alors que je courre dans le salon, excitée pour X raisons, à cet âge-là déjà il m’en fallait très peu… Je continue malgré tout jusqu’à ce que son visage aux sourcils froncés apparaisse à la porte du salon. Je m’exécute et découvre la porte d’entrée de notre petite maison ouverte, maman parlant avec un grand sourire à une autre maman qui s’avère être son amie, cette même autre maman qui tient l’épaule d’un petit garçon à lunettes rondes intimidé. Je me plante devant lui, le pointe du doigt et demande intriguée :
« T’es qui toi ? »Maman me reprend sous le rire de l’autre maman qui ébouriffe la tignasse du petit garçon qui rougi, jusqu’à ce que Maman m’explique :
« Il s’appelle Tobias, un nouveau copain à toi, il restera avec nous les après-midis jusqu’à ce que sa Maman finisse de travailler. Alors tu seras gentille d’accord ? »Ajoute-elle en plissant les yeux suspicieuse alors que j’approuve d’un salut militaire, remarquant Tobias esquissait un petit rire. Puis je l’attrape par la main et le tire jusqu’au salon pour qu’il vienne jouer avec moi, lui expliquant avec entrain que j’ai eu une nouvelle caisse de Lego et que je veux construire un vaisseau spatial avec.
Quelques heures plus tard, deux vaisseaux fusaient du haut de nos petites mains, nous deux, courant dans le salon et hurlant et riant aux éclats, jusqu’à ce que la maman revienne et que l’on se retrouve de nouveau au pas de la porte.
« A demain Tobias ! »« A demain Erika ! »Notre amitié est née ce jour-là et n’a fait que se renforcer avec le temps, à chaque après-midi dans ce salon, au parc, puis à l’école, au collège, au lycée, à l’université, encore et encore sans jamais disparaître, connaissant ses hauts et ses bas mais que voulez-vous, il en faut toujours non ?
- 6 ans, 10 mois et 1 semaine avant l’épidémie, Cambridge - Massachusetts.
L’avion se pose et j’ai le nez collé au hublot, comme l’enfant que j’ai toujours été, Tobias, penché lui aussi n’est pas mieux que moi. Comme deux enfants on regarde partout à la fois en descendant de l’avion, parlant, se chahutant, se rendant compte de ce qui nous arrive. On récupère nos valises, rouspétant face au temps qu’elles mettent à se montrer avant de sortir en courant pour attraper notre bus pour rejoindre Cambridge et plus précisément la fameuse Massachusetts Avenue… Ce n’est qu’une fois descendu du bus, devant l’impressionnant et magnifique bâtiment qu’on arrête de parler, gobant des mouches, des étoiles dans les yeux, ébahis, plantés là pendant quelques minutes avant qu’il ne brise le silence :
« On a réussi Er’ ! »On se regarde avec un grand sourire avant de se sauter dans les bras et de sautiller comme des enfants à chanter à tue-tête. Même réaction qu’on avait eu lorsqu’il était entré à Cambridge et que j’étais rentrée à Oxford, puis qu’on avait eu lorsqu’il avait eu ce job de chercheur informatique et que j’en avais décroché un en technologie ou encore qu’on avait eu lorsqu’on avait reçu la lettre du MIT disant que notre candidature pour la School of Engineering avait été retenue. Bref, on avait beau être des grosses têtes, on restait, déjà à cette époque, d’éternels gamins qui adorent bricoler, bidouiller, créer et inventer des choses plus tordues les unes que les autres.
Les cours étaient complexes, le rythme défiait tout ce qu’on avait pu imaginer, mais on s’éclatait, assidus et sérieux dans nos recherches, dans nos projets. En clair on s’y plaisait énormément. Si on avait pu on y aurait sûrement passé le reste de nos jours. De temps à autres nos familles venaient nous rendre visite, faisaient semblant de comprendre notre charabia déjanté mais souriant de nous voir si heureux, pour eux le principal. On était promis à beaucoup de chose, on avait des projets pleins la tête. Aujourd’hui ce sont plus des rêves qu’autre chose. Après 4 ans au MIT nous avons tous les deux été embauchés dans des instituts de recherche de Birmingham en Alabama, les choses sérieuses commençaient vraiment même si elles n’ont pas durées longtemps…
- Le jour de l’épidémie, à l’aéroport Hartsfield-Jackson d’Atlanta.
J’étais dans l’avion lorsque la nouvelle a fusé. J’écoutais ma musique tapotant de l’ongle en rythme, impatiente d’atterrir, sachant que Tobias m’attendrait à l’aéroport d’Atlanta où j’atterrirais dans une trentaine de minutes. Puis du mouvement, les hôtesses et stewards filant dans les allées l’air inquiet pour rejoindre l’avant, et s’engouffrer dans la cabine du capitaine, se faisant passer le mot. Fronçant les sourcils, j’enlevais mes écouteurs alors que l’une des hôtesses prenait l’appareil pour faire une annonce :
« Mesdames, messieurs, un flash info spécial vient d’être diffusé, nous vous demandons toute votre attention. » Tout le monde se redresse pour voir regarder les écrans diffusant le flash info, puis c’est la panique. Oui, dans l’avion. Après tout quand on vous annonce qu’une épidémie dévaste le monde sous nos pieds y’a de quoi paniquer. Le personnel tente au mieux d’apaiser les passagers, expliquant qu’ils font de leur mieux pour avoir plus d’informations, puis une question fuse, est-ce qu’on va pouvoir atterrir ? Pas de réponses, juste beaucoup d’inquiétude. J’ai le nez collé au hublot, pensant naïvement que je verrais ce qui se passe en bas, oui à plusieurs milliers de mètres du sol. Puis je pense à mes parents, est-ce qu’à Bath c’est pareil ? Puis à Tobias, est-ce qu’il a pu arriver jusqu’à l’aéroport ?
Ces trente minutes ont été les plus longues de ma vie, puis on finit par atterrir, difficilement, tous les avions en vol doivent se poser… Pire atterrissage que j’ai connu et en plus c’est la partie que je déteste le plus… A l’aéroport, c’est la panique, ça se voit de loin, une sorte de brouhaha nous happe assourdi par les moteurs des avions, dès qu’on arrive des militaires nous crachent froidement des ordres pour qu’on rejoigne des camions, je serre contre moi mon sac à dos et fixe les murs vitrés de l’aéroport, refusant de suivre les ordres et courant dans la direction du bâtiment pour espérer y trouver Tobias. Mais j’ai de petites jambes, autant dire que contre un militaire surentraîné je n’ai aucune chance. Je suis vite attrapée, il me gueule dessus de plus belle et me ramène dans la file de gens effrayés. Je conteste, le frappe jusqu’à ce que je vois une foule de personne fuir l’aéroport en hurlant, derrière eux, ces espèces de monstres se traînant pour les attraper, en piégeant certains ne prêtant aucune attention aux coups, aux cris et plantant leurs dents dans leur gorge.
C’est la première fois que j’ai vu les zombies ou rôdeurs comme certains disent. J’ai été amené dans un camp militaire bondé de survivants mais aussi de blessés. Les militaires faisaient semblant de contrôler la situation, mais ce n’était clairement pas le cas. Après tout, si ça l’avait été ils auraient repris le dessus rapidement non ? Ou encore ils n’auraient pas ramené les mordus à l’intérieur du camp, bombe à retardement qui allait nous réveiller en pleine nuit, quelques heures après, les prenant par surprise, faisant imploser le camp. J’ai survécu, partant en courant avec un petit groupe, découvrant un monde sortant tout droit du jeu vidéo auquel je jouais la veille…
- Quelques mois plus tard, à Island Drive, Géorgie.
La voiture ne cessait de nous chahuter, roulant sur les restes de corps ou plutôt d’os qui n’avaient pas intéressé les rôdeurs. Voilà près d’une demi-heure que j’étais dans cette camionnette, à papoter avec mon voisin, lui racontant ma vie. Après tout il me l’avait demandé, mais apparemment il ne s’était pas attendu à ce que je m’étende autant sur le sujet.
Quelques heures plus tôt j’étais armée d’une machette, plaquée contre un mur en regardant le troupeau d’une dizaine de zombie avancer vers moi. Je n’ai rien d’une guerrière, j’ai dû tuer moins d’une dizaine de ces bestiaux depuis l’annonce de l’épidémie. Et pourtant j’avais survécu, rejoignant des groupes, en évitant certains qui n’avaient rien de recommandable, voyant des humains mourir aussi bien sous les mâchoires des rôdeurs que sous la violence et la haine des lâches. J’avais survécu, cherchant inlassablement Tobias, persuadée qu’il était encore vivant, après tout, il est intelligent, il est malin et il a toujours fait un meilleur score que moi lors des invasions zombiesques virtuelles. Alors pourquoi penser qu’il aurait pu mourir ?
Par contre, appuyée contre ce mur, battant l’air de ma machette, épuisée, assoiffée et affamée j’étais persuadée d’une chose. Je n’allais pas faire long-feu. Du moins jusqu’à ce que j’entende un moteur au loin, puis des coups de feu me faisant me recroqueviller de plus belle contre les briques déjà rouge de sang.
« Hey, c’est fini, tu vas bien ? Tu n’as pas été mordue ? » Me questionnait l’un de mes sauveurs en se penchant sur moi pour vérifier que je n’étais pas blessée. J’avais beau trembler comme une feuille et continuer d’appuyer mes paumes contre mes tempes j’étais encore en vie et en un seul morceau, les égratignures ne comptant pas. Je nie vivement de la tête, jusqu’à ce qu’il me parle de son campement sur une presqu’île. Je ne me fis pas prier plus longtemps. Après tout, si je veux retrouver Tobias, il vaut mieux que je ne sois pas seule, puis qui sait, il y sera peut-être ?