« Il y en a deux ! » Cette phrase prononcée par sa gynécologue ma mère ne la jamais oubliée. Deux, deux bébés pour le prix d'un. Elle qui bataillait depuis plusieurs années, avec mon père, sans être capable de concevoir un enfant voyait enfin son rêve exaucé sous la forme de deux petites têtes blondes. Mon frère et moi. À cette époque mes parents commençaient à perdre espoir, à se dire que leur prièrent ne seraient jamais exhaussés et qu'ils ne pourraient pas avoir de bébé à eux. L'adoption ? Ils commençaient à l'envisager sérieusement, alors quel ne fut pas leur bonheur de nous accueillir dans leur vie. Deux petits garçons en pleine santé et ne demandant qu'à être choyé. On fut baptisé Neven Sloan et Élouan Sloan, bien que nos parents nous appelaient plus souvent leurs trésors ou leurs cadeaux du ciel que par nos prénoms. De toute façon qui n'a jamais donné de surnom à son bébé ? En tout cas on fut aimé et gâté, jusqu'à notre un an et demi.

« Tu le tiens bien Élouan ! » Assis sur une couverture posée à même l'herbe, occupé à encastrer des cubes dans une boîte je me souviens avoir levé la tête de mon jeu en entendant cette phrase. Mon père venait de donner le fil du cerf-volant à mon jumeau et, le laissant se débrouiller seul, il revint s'asseoir à mes côtés. Je me mis alors à accaparer son attention pour qu'il m'aide, l’empêchant par là même de surveiller mon frère, si bien qu'il ne le vit pas lâcher le fil et se lancer à sa poursuite alors que le vent l'emportait au loin. Lorsque enfin il releva la tête Élouan était déjà loin et il eut beau courir aussi vite qu'il le pus et lui crier de se stopper il ne réussit pas à le rattraper avant qu'il n'atteigne la route. Je me souviens du bruit hérissant des pneus crissant sur le bitume et de la couleur rouge du camion lancé à pleine vitesse. Il eut beau freiner tout son possible le conducteur ne put éviter mon frère. Ce jour-là je perdis bien plus que mon jumeau. Je perdis l'affection de mon père qui me tint pour responsable.

« Il n'est pas responsable ! » Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai pu entendre cette phrase au cours des années ayant suivi la mort de mon frère. Ma mère ne cessa de le rabâcher à mon père, mais il ne voulut jamais rien entendre et, de prendre ma défense, ma mère fit les frais, autant que moi, de la colère et de la détresse de mon père. Petit cela se limitait à des brimades et des reproches à tout va, mais avec l'âge mon père à commencer à devenir réellement violent, nous frappant aussi bien moi que ma mère. Souvent, elle s'interposait et prenait les coups à ma place, mais elle ne pouvait pas toujours être là pour me protéger, alors j'ai appris à me taire, à cacher les marques, à mentir. Et puis le pire est arrivé. J'avais tout juste dix ans lorsque pour une raison ou une autre mon père est entré dans une colère noire, il m'a frappé tant et si bien que j'en ai perdu conscience, ma mère a essayé de l’arrêter pour qu'il ne me tue pas et il a reporté sa colère sur elle, la poussant dans l'escalier. Elle c'est brisé la nuque et est morte sur le coup.

« Il ne te fera plus de mal. » Plus de mal ? Qu'aurait-il pus faire de pire que me prendre ma mère ? Prostré sur un lit d'hôpital des suites de l'accès de colère de mon père, incapable de me rendre à l'enterrement de ma mère, je ne voyais pas comment ma situation aurait pu être pire. J'aurais pu être tué. La belle jambe, au moins je ne souffrirais plus … Après ce jour je fus placé chez une tante je reçus un soutien psychologique accru, mon père fut inculpé pour homicide involontaire et maltraitance et tout le monde se mit à attendre de moi que je reprenne une vie normale. Normale selon quels critères ? Décidant de faire table race du passé j'ai, un matin, prit la décision de brûler tous mes souvenirs. C'était un moyen comme un autre d'aller de l'avant et de faire ce qu'on attendait de moi. Et bien croyez l'ou non ce fut libérateur. Je pus enfin recommencer à vivre de façon conventionnelle, quoique j'aie continué à cauchemarder chaque nuit jusqu'à il y a peu.